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Hocine Aït Ahmed
- Algeriens -
Ils ont dit...

Hocine Aït Ahmed et le « génocide » des Pieds-Noirs

Paroles prononcées par Hocine Aït Ahmed
(l'un des chefs historiques de la guerre d'Indépendance)

«...Oui, je dis bien une tragédie humaine et pour reprendre le mot de Talleyrand : - Plus qu’un crime, une faute ! - Une faute terrible pour l’avenir politique, économique et même culturel, car notre chère patrie a perdu son identité sociale.

N’oublions pas que les religions, les cultures juive et chrétienne se trouvaient en Afrique du Nord bien avant les arabo-musulmans, eux aussi colonisateurs, aujourd’hui hégémonistes.

Avec les Pieds-Noirs et le dynamisme - je dis bien les Pieds-Noirs et non les Français - l’Algérie serait aujourd’hui une grande puissance africaine, méditerranéenne. Hélas ! Je reconnais que nous avons commis des erreurs politiques, stratégiques. Il y a eu envers les Pieds-Noirs des fautes inadmissibles, des crimes de guerre envers des civils innocents et dont l’Algérie devra répondre au même titre que la Turquie envers les Arméniens... »

Paroles publiées dans la revue «ensemble» n°248 de juin 2005.


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Texte publié sur le site Internet «kabyles.net»

Intervenant dans le numéro de juin 2005 de la revue Ensemble éditée par l’Association Culturelle d’Education Populaire, Hocine Aït Ahmed, leader du Front des Forces Socialistes et dirigeant historique de l’insurrection du FLN en 1954, y tient des propos assez surprenants sur les Pieds-Noirs et leur expulsion d’Algérie en 1962.

Rappelons que l’Association Culturelle d’Education Populaire est une association fondée en 1948 à Constantine par l’abbé catholique Emmanuel Grima. Aujourd’hui sise à Montpellier, dans le sud-est de la France, elle rassemble des Pieds-Noirs originaires de l’Est algérien et publie, cinq fois par an, la revue Ensemble. C’est dans le dernier numéro de cette revue (n° 248) qu’Hocine Aït Ahmed fait part de ses observations et réflexions concernant le sort fait aux « Européens » par le FLN pendant la Guerre d’Algérie.

Sur un ton passionné, il dénonce la véritable « tragédie humaine » qu’a constitué le départ forcé des populations françaises d’Algérie en 1962. Il estime que c’est « plus qu’un crime, une faute » commise par le Front de Libération Nationale, dont il est un des chefs fondateurs et dont il était encore membre à l’époque. Il ajoute que cette faute a pris un triple aspect « politique, économique et même culturel ». En effet, d’après lui les citoyens non-musulmans auraient dû garder toute leur place dans l’Algérie indépendante car « les cultures juive et chrétienne se trouvaient en Afrique du Nord bien avant les arabo-musulmans, eux aussi colonisateurs, aujourd’hui hégémonistes. »

Sur un plan plus économique, Aït Ahmed regrette qu’en forçant les Européens au départ, l’Algérie nouvellement indépendante se soit privée d’un formidable réservoir de main d’œuvre formée, productive et compétente : « Avec les Pieds-Noirs et leur dynamisme - je dis bien les Pieds-Noirs et non les Français - l’Algérie serait aujourd’hui une grande puissance africaine, méditerranéenne. » Il sous-entend donc que le choix de tourner radicalement le dos à l’Europe occidentale et d’ouvrir l’Algérie aux professeurs arabes, Egyptiens, Syriens et autres Palestiniens ainsi qu’aux ingénieurs soviétiques fut une erreur coûteuse qui a conduit l’Algérie sur la voie du sous-développement. Il oppose à cette stratégie arabiste et tiers-mondiste, décidée à l’époque par le FLN, une sorte de « troisième voie » qui aurait vu l’Algérie s’appuyer sur ses compétences internes, alors essentiellement détenues par les « Européens », pour créer les conditions d’une croissance économique saine.

Allant encore plus loin dans la repentance, Hocine Aït Ahmed déclare qu’ il y a eu envers les Pieds-Noirs des fautes inadmissibles, des crimes de guerre envers des civils innocents et dont l’Algérie devra répondre au même titre que la Turquie envers les Arméniens. » Ce faisant, il évoque la longue liste de massacres commis contre les civils Pieds-Noirs pendant la guerre d’Algérie, depuis ceux de Philippeville (Skikda) en 1955 à ceux d’Oran en 1962. Ces tueries, provoquées par le FLN, ont eu pour effet d’instaurer une coupure radicale entre ceux que l’on appelait alors les « Européens » et les « Musulmans », provoquant finalement l’exode des Pieds-Noirs vers la France dès la proclamation de l’indépendance de l’Algérie. Ce qui est particulièrement étonnant et qu’on avait sans doute jamais entendu dans la bouche d’un homme politique algérien, c’est la comparaison entre le sort fait aux Pieds-Noirs en 1962 et celui fait par les Turcs aux Arméniens en 1915.

L’écrasante majorité des historiens et des opinions publiques, à l’exception des Turcs, s’accordent à dire que les massacres et déportations d’Arméniens par les Turcs constituent le premier cas de génocide moderne. En comparant le destin des Pieds-Noirs et celui des Arméniens, Hocine Aït Ahmed accuse donc implicitement le FLN d’avoir commis un génocide à l’encontre de la population européenne d’Algérie ! . Ces déclarations émanant d’un des derniers chefs historiques du FLN sont proprement stupéfiantes à l’heure où Abdelaziz Bouteflika dénonce encore avec virulence le « caractère génocidaire » de la colonisation et où la presse algérienne arabophone se lance dans des attaques sans fondements contre les juifs de Tlemcen partis en 1962.

On peut cependant se demander pourquoi il aura fallu si longtemps pour que Hocine Aït Ahmed rende publiques de telles réflexions. Si génocide il y a réellement eu, pourquoi n’ en a-t-il alors rien dit à l’époque, alors que sa voix comptait parmi les plus influentes du FLN et aurait peut-être pu empêcher cette « faute terrible » ? Pourquoi, par la suite, s’est-il allié à Ahmed Ben Bella, lors des accords de Londres signés en 1985 ? Chacun sait que Ben Bella présida à l’expulsion des Pieds-Noirs et à l’arabisation systématique de l’Algérie. Si cela constituait un génocide, pourquoi alors Aït Ahmed s’est-il allié à un génocidaire ? Enfin, en 1995, lors des accords de Rome et du fameux épisode de la chéchia de Djaballah, Hocine Aït Ahmed ne semblait pas très mal à l’aise au milieu de ceux qu’il qualifie aujourd’hui d’« arabo-musulmans », « colonisateurs » et « hégémonistes ». Bref, cette nouvelle sortie de Dda l’Hocine, pour courageuse et intéressante qu’elle soit, semble soulever plus de questions qu’elle n’en résout.

La Rédaction du site, le 25 juillet 2005


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