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On a écrit sur l'Algérie des Aurès et des Djebels, sur le drame qui vit deux populations atrocement déchirées.
Claire NAVARRO, fille de
pieds-noirs d'origine espagnole, raconte la vision de ces temps à travers ses yeux d'enfant.
Elle nous parle avec des mots touchants, de ses ancêtres venus œuvrer dans cette terre à civiliser. L'histoire de sa famille abonde de situations rocambolesques : un grand-père qui déserte en pleine guerre de 14-18, pour aller reconnaître son enfant à Oran, puis retourne de lui-même au front. Des gens simples et courageux, qui vivent au premier degré animés de sentiments portés à fleur de peau.
A travers son livre, véritable document, nous découvrons une vie de pieds-noirs jusqu'à l'exode, et une Algérie pittoresque, colorée et attachante, où l'on ne connaissait de la France que les images de livres ou de cartes postales. Une famille chaleureuse, des parents qui tiennent leur rôle. La vie de tous les jours dans la banlieue d'Oran, puis à Alger. Sa découverte de la vie avec son frère Pil. Les escapades et les vacances heureuses au bord de la mer, s'immortalisent rythmées par les allées et venues d'un vieux sablier, dont le passage se grave à jamais, comme symbole d'une félicité paradisiaque gommant toutes les limites du monde. Et puis c'est le drame qui s'installe, comme une plaie qui n'en finit plus de s'agrandir. Cette guerre incompréhensible tourmente l'âme de la pré adolescente qui ne trouve pas de réponse : « Mais pourquoi ces conflits ? ». Elle regarde et relate ses émotions d'alors. Enfin c'est l'exode, l'embarquement inoubliable sur un vieux navire en direction de la « mère patrie ». Une patrie pour laquelle on a souvent donné son sang généreusement, mais dont on ignore l'accueil qu'elle réservera. |
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Le vieux Ville de Tunis avait accosté à Marseille. Il avait fallu se résoudre à quitter l'Algérie. Nous fuyions le poison des dernières années. J'emportais plus d'images de chemins et d'espaces que n'en contenaient les cales. Grand-père et tous nos aïeux resteraient là-bas, ensevelis dans cette terre qui n'avait pas été nôtre mais à laquelle nous avions appartenu pendant quatre générations. J'étais de la dernière, celle qui allait tirer le rideau de l'alcôve...
Une femme à la voix aiguë, très éprouvée par la traversée, s'écria :
« Marinette ma fi ! Ce bateau, c’était un enfer de tous les démons ! La mer qu’on a eue : pour mourir! Grâce à Dieu on s'en est sortis, mais on n’a plus que la peau et les os. Les gosses y sont qu 'ils en peuvent plus ! Les maisons elles sont chauff ées ici ? »
Son mari tenta de la faire taire : - Arrête de te faire remarquer, nous sommes en France!
- La France? Je les emmerde! C'est à cause d'eux qu'on est là avec une main devant et une main derrière! Je vais me g êner maintenant ! Ni même Ashrine y m e fait taire ! Et de Gaulle non ? Avec son «je vous ai compris », çui-là il nous l'a bien mis! »
La cage au canari dans une main et mon dernier prix scolaire La roche aux mouettes sous le bras, j'étais silencieuse. Il me semblait que la rive de ma patrie intérieure s'éloignait plus que je ne l'atteignais. Mais ce monde avait beau nous embarquer, nous emballer, il resterait une part de moi qui ne lui donnerait jamais prise, où mon âme ne cesserait d'aspirer à plus haut, plus beau : une citadelle imprenable... |
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