Merci, monsieur le Maire, d'avoir bien voulu me donner la parole.
Je me présente : Bernard CINI, Président du Cercle algérianiste de Drôme Ardèche, administrateur national de la Fédération des Cercles algérianistes, première association de rapatriés.
Monsieur le Maire, mesdames et messieurs les conseillers municipaux.
Vous vous apprêtez à délibérer aujourd'hui sur le projet d'inauguration à Valence d'un square du " 19 mars 1962, cessez-le-feu en Algérie. "
Mesdames et messieurs les élus, ce projet a provoqué une vive émotion au sein de la communauté des Français d'Algérie, comme au sein du monde combattant.
Si une telle décision était confirmée, elle résonnerait comme une véritable provocation à l'égard des nombreux Pieds Noirs, Harkis et anciens combattants résidant à Valence et dans la région.
Vous souhaitez, Monsieur le Maire, dans la lettre adressée à nos adhérents, je cite : " tenir un engagement de campagne, loin de vouloir raviver quelconques confrontations. " Fin de citation.
En réalité vous risquez de provoquer une véritable guerre des mémoires et vous avez pu mesurer, par les nombreuses lettres et courriels que vous avez reçu, toute l'amertume que votre proposition a fait naître.
Je le dis avec calme mais détermination, ce projet est une véritable injure envers la mémoire des disparus, des victimes civiles et militaires de ce conflit ainsi qu'à l'Histoire de notre pays. Il méprise toutes les victimes qui ont eu le tort ou la naïveté de croire à ce soit-disant cessez-le-feu.
Vous me direz peut-être qu'après la fin des hostilités il y a toujours hélas à déplorer des morts.
Malheureusement, après le 19 mars 1962, ce n'était pas quelques règlements de comptes isolés mais des massacres prémédités, au mépris des Accords d'EVIAN.
46 ans après ces drames, tous les historiens s'accordent pour reconnaître que ce cessez-le-feu ne fut pas respecté.
Tous nos présidents de la république ont refusé d'officialiser cette date.
Non monsieur le Maire, ce jour est loin d'avoir marqué la paix en Algérie. Contrairement à ce que vous avez écrit ce cessez-le-feu est loin d'avoir mis fin aux crimes, aux assassinats et aux enlèvements, il a été au contraire le signal du déchaînement des violences.
En effet,
Après le 19 mars 1962, 100 à 150 000 Français de souche Nord africaine, abandonnés par la France, ont été massacrés dans de terribles souffrances. Ils étaient comme vous, maires ou conseillers municipaux.
Ils étaient Harkis, supplétifs, anciens combattants, ceux-la même qui de 1942 à 1945 sont venus aux côtés des Français d'Afrique du Nord libérer la France du joug nazi.
Comment oserez-vous déposer une gerbe le 25 septembre prochain, pour honorer leurs mémoires, si vous inaugurez un square du 19 mars 1962 date du déclenchement de leur calvaire ?
Après le 19 mars 1962, plus de 500 engagés ou appelés du contingent sont morts ou portés disparus.
Dans le dernier trimestre de 1962, les pertes infligées par le FLN aux soldats français sont de 30 tués, 73 blessés et 120 disparus ; J'ai à votre disposition la référence du document qui prouve cela. (Réf. 1 H 1428-1429 bulletins mensuels de renseignements).
Après le 19 mars 1962, plus de 3000 français de souche européenne sont enlevés par le FLN, hommes, femmes, enfants, bébés. Certains n'avaient que quelques mois.
Pour tous ces malheureux, pour leurs familles encore traumatisées, le compteur des jours d'absence et d'angoisse ne s'arrête pas. Il a largement dépassé les 16000 jours.
Après le 19 mars 1962, pour échapper à une mort annoncée, 1 million de vos compatriotes sont obligés de fuir la terre où ils sont nés. 1 million de déracinés qui verront la profanation de leurs cimetières.
Est ce que le cessez-le-feu du 19 mars 1962 doit être honoré comme un acte de paix ?
Non monsieur le Maire, 150 000 fois NON, 1 million de fois NON.
Il ne suffit pas de voir chaque année à Valence, quelques centaines d'anciens combattants, voir quelques milliers commémorer ce cessez-le-feu, pour que cela devienne une vérité historique.
La vérité est tout autre malheureusement et nous le savons.
Vous ne pouvez l'ignorer, car nul n'est sensé ignorer la loi, et l'article 2 de la loi du 23 février 2005, votée par le Parlement, reconnaît la réalité de ces crimes.
Je cite pour mémoire : " La Nation associe les rapatriés d'Afrique du Nord, les personnes disparues et les populations civiles victimes de massacres ou d'exactions commis durant la guerre d'Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d'Evian, ainsi que les victimes civiles des combats de Tunisie et du Maroc, à l'hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord." fin de citation.
De plus, la France commence à lever le voile sur des archives effrayantes concernant les enlèvements d'Européens et les sévices infligés aux harkis après le cessez-le-feu du 19 mars 1962.
La vérité n'est peut-être pas toujours belle à entendre, mais le scandale n'est pas de la dire, c'est de ne pas la dire toute entière.
Compter sur nous pour la défendre et pour l 'enseigner auprès des jeunes générations.
Monsieur le Maire, si vous maintenez ce projet d'inauguration, comment justifierez-vous votre décision devant cette jeune génération lorsqu'elle s'étonnera de voir à Valence un square du 19 mars, cessez-le-feu en Algérie, alors qu'elle aura appris le massacre du 26 mars 1962 à Alger, où parmi les 82 victimes, la plus jeune n'avait que 7 ans ?
Comment justifierez-vous votre décision face à la jeune génération qui aura appris que le 5 juillet à Oran, plus de 3000 français ont été massacrés dans une véritable chasse à l'homme, devant des militaires français restés l'arme aux pieds ?
Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.
Alors, laissons la liberté aux associations qui le souhaitent de commémorer le 19 mars, mais ne l'imposez pas aux Valentinois.
Le 19 mars 1962 n'est pas la paix. Ne persistez pas dans cette erreur.
Nous vous demandons, monsieur le Maire, de suivre la sagesse de vos prédécesseurs, Jean Perdrix, Ribadeau Dumas, Rodolphe Pesce, Patrick Labaune, Léna Balsan, qui se sont refusé depuis 46 ans à prendre une telle décision.
Nous vous demandons de suivre l'exemple de Madame le Maire de Saint-Paul Le Jeune, petit village ardéchois qui a préféré inaugurer une place au nom des anciens combattants, plutôt qu'une place du 19 mars 1962.
Monsieur le Maire, Mesdames et messieurs les conseillers municipaux, faites un geste qui vous honorera. N'infligez pas cette date à valence.
Pour conclure,
Sur votre blog, Monsieur le Maire, vous notez que vous avez un esprit d'ouverture et un profond respect de l'autre.
Les associations dont je me fais le porte parole, sont prêtes à vous rencontrer et à collaborer avec la municipalité afin de donner un nom au square Barnave digne du chef lieu de la Drôme.
Je vous remercie de m'avoir écouté.
Bernard CINI
(Président du Cercle algérianiste de Drôme-Ardèche)