Algérie
Il est dérivé du nom «Algérie». Ce nom a été donné officiellement en 1839 par la France, aux territoires d'Afrique du Nord situés entre le Royaume du Maroc à l'Ouest et le Beylicat de Tunis à l'Est. Quelques décennies après 1830, sa population civile d'origine française et européenne commençant de s'étoffer par de modérés et réguliers apports extérieurs, le nombre de ses naissances s'élevant, il se manifesta une discrète prise de conscience que l'on pourrait aujourd'hui qualifier d'identitaire.
1848 / 1900. L'Algérie continua de se peupler de nouveaux habitants venant d'Europe. Comment ces nouveaux arrivants allaient-ils se nommer eux-mêmes, d'autant que les naissances commençaient de prendre le pas sur l'hécatombe de décès des tout premiers temps ?
Algériens
Du nom «Algérie» découla alors le vocable «Algérien». Pourtant non reconnu par les autorités, il s'enracina rapidement. Il traduisait un attachement affectif à cette terre nouvelle qui, pour beaucoup, devenait terre natale. Ainsi se désignèrent les européens de ce nouveau pays. Français d'origine, Français par naturalisation, et maintenant Français de souche, en se donnant cette nouvelle identité, ils engageaient sans le savoir la première quête, la première réflexion sur leur destin de Français d'Algérie.
Ce terme d'Algérien n'avait cependant aucune connotation politique, se déduisant simplement d'une réalité géographique. Dès lors que se tournait définitivement une page personnelle souvent difficile et parfois douloureuse, et qu'il y avait une vie à y construire, on se revendiqua Algériens en Algérie comme Alsaciens en Alsace.
Malgré tout, les ambiguïtés n'étaient point absentes. Ainsi, ce territoire ressenti comme neuf, était simultanément reconnu comme très ancien par la complexité et la variété de son histoire.
Ensuite, cette population se percevant comme française, se concevait cependant comme nouvelle et presque sans passé. Difficile de faire plus contradictoire.
Pour l'heure, on y naissait, on venait s'y implanter définitivement pour y construire une aventure originale, mais à vivre sur une terre au passé foisonnant. De ce melting-pot humain ne pouvait que naître un peuple nouveau.
Peuple de pionniers qui avait tout à inventer, tout à retrouver, tout à établir, avant de parvenir lui-même à se définir, puis à exprimer sa propre maturité…
La nouvelle Algérie ne cesse d'affirmer son originalité au fil des ans. Sa nouvelle population progressant en nombre, et en conscience d'elle-même. Provinciaux d'une nouvelle province, tous étaient donc Français. Tout en se ressentant «Algériens». Car c'est ce terme optimiste et profondément révolutionnaire qui unissait et réunissait anciens Espagnols, anciens Italiens Siciliens et Sardes, anciens Maltais, Grecs et Levantins parfois, à l'important groupe des «Français de France».
Sans oublier cette poussière de peuplement en provenance de l'Europe entière. Sans oublier aussi et surtout l'importante communauté israélite. Ses membres vivaient sur ce territoire depuis plusieurs siècles dans un difficile statut fait de soumission et d'infériorité.
Leur apport culturel et humain se révéla très rapidement d'une immense et profonde qualité. Ils acquirent collectivement la qualité de citoyens français par le décret Crémieux en 1870.
Quant aux populations locales, Berbères d'origine, romanisés, christianisés puis islamisées et arabisés, auxquels s'ajoutaient les descendants des conquérants arabo-musulmans, le vocable «Algérien» ne les désignait pas à cette époque. Le terme étant alors indissociable du caractère novateur de cette «Algérie» naissante. Algérie qui n'avait connu aucune existence en tant que Patrie, Nation ou Etat, avant l'arrivée de la France.
Ces populations avaient vocation à rejoindre la nouvelle entité qui se constituait. Dès lors que, comme tous les groupes sociaux successifs qui l'avaient construite ou déjà rejointe, elles se reconnaissaient et entraient dans les valeurs républicaines.
De ces paramètres ne pouvait émerger qu'un ensemble original. Point n'est besoin de rappeler avec quelle force la nature d'un terroir, et ses caractéristiques géographiques, peuvent influencer les modes d'expression d'une culture nouvelle. Et jusqu'à cette culture elle-même.
Ce sont les paysages, et le cadre de nature, qui orientent et engendrent l'essence de tout éveil artistique. Le reste n'est affaire que de temps. Pour qu'enfin l'époque et la situation puissent se prêter à cet épanouissement, et pour que les idées rencontrent les hommes capables de leur donner chair et de les faire vivre
L'Algérie ne pouvant par ailleurs que bénéficier de cette euphorie de progrès qui saisissait l'Europe à la jonction des 19ème et 20ème siècles. Progrès social, technique, scientifique, artistique et humain. C'est ainsi que l'on vit, sur ce territoire vierge d'infrastructures, affluer les ingénieurs de tous corps, tant étaient immenses les besoins d'équipements sur ce sol qui n'en possédait aucun. Les médecins et les enseignants n'étaient pas en reste, tandis qu'archéologues et explorateurs, comme l'on disait à l'époque, poussaient leurs investigations vers le grand Sud en quête de ce Sahara mythique et de ses mystères.
Algérianistes
Sur ce territoire nouveau mais doté d'une extraordinaire richesse antique, une structure hybride à la fois mi-colonie et mi-province française commençait de s'établir. A la fois nouvelle et française, sa population s'adaptait à ces aspects inconciliables, tout en évoluant administrativement dans ces trois départements désormais français.
Passé le cap de 1900, l'Algérianisme arrive au terme de sa longue et complexe gestation. Le mot apparaît d'abord sous son dérivé «Algérianiste». On le trouve contenu dans le titre d'un roman paru en 1911 : «Les Algérianistes». Celui-ci est l'œuvre de l'Algérois Robert ARNAUD. Robert RANDAU en littérature. Il est né sur cette terre en 1873, d'une famille déjà bien implantée. Mais il n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'il a publié dès 1907 son premier roman «algérien» intitulé «Les Colons». On découvre dans ce livre la vision d'avenir et de progrès que l'auteur avait déjà de l'Algérie
Il est à noter que ce roman s'ouvre par une préface révélatrice signée de Marius ARY-LEBLOND. Celui-ci dit d'emblée de cette œuvre : «C'est le premier essai de la constitution d'une mentalité algérienne, consciente de sa composition, volontaire, et raffinée». Cette phrase pouvant être vue comme une première réponse à cette interrogation identitaire soudain devenue d'actualité: «En quoi l'Algérien diffère t-il de l'Européen ?»
Algérianisme
Robert RANDAU va se lier d'une amitié profonde avec Jean POMIER. Celui-ci, né à Toulouse en 1886, sera de fait le véritable père du terme «Algérianisme». C'est lui qui fonde en 1921 «L'Association des Ecrivains algériens» ainsi que la Revue littéraire «Afrique». Rappelons qu'à l'époque, et jusqu'à la fin des années cinquante, le terme «Afrique» est souvent utilisé comme substitut romantique à «Algérie» par les écrivains de ce nouveau territoire.
C'est surtout en 1921 que l'Algérianisme va être défini et formulé par Robert RANDAU lui-même, dans sa vigoureuse préface écrite pour une «Anthologie de treize poètes africains» (Il convient d'entendre «algériens»). Cette préface prit d'emblée l'allure et le ton d'un véritable Manifeste.
Manifeste appelant à cette Algérie future, d'où ils voient surgir un futur «Peuple franco-berbère». Etayant en cela leurs espoirs par l'évolution souhaitée des autochtones musulmans vers une société de moins en moins théocratique. Pour RANDAU et ses amis, ce futur peuple franco-berbère «sera de langue et de civilisation françaises».